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Date de création : 06.02.2010
Dernière mise à jour : 23.03.2017
58 articles


Les théories de la relation d'objet

Publié le 04/07/2010 à 11:04 par tricycle Tags : psychanalyse

article écrit par Christian Loehlé ; www.christianloehle.ch 

 

 

 

J'ai récemment lu le livre suivant :Object Relations in Psychoanalytic Theory, de Jay R. Greenberg et Stephen A. Mitchell. Ce livre m'ayant beaucoup apporté, je souhaite en dire ici quelques mots.

 

*  *  *

  

 

 

On a eu dit que Berne avait merveilleusement innové, en réinsufflant dans un cadre psychanalytique le relationnel, pour construire une psychiatrie sociale avant l’heure.

 

Il est vrai que Berne fut un psychanalyste qui prit le parti de déplacer l’objet d’étude de l’intrapsychique sur l’interpersonnel. L’analyse transactionnelle bernienne est, avant tout, une théorie de la souffrance basée sur l’internalisation des relations infantiles et la constitution d’adaptations de l’enfant au sein de ces relations infantiles. Ensuite, et par le schéma des Etats du Moi et des transactions que cette théorisation a amené à élaborer, l’analyse transactionnelle est un outil d’étude et d’analyse des relations actuelles du client. Ce regard interpersonnel posé sur le client, tant par rapport à ses symptômes psychiques que par rapport à son fonctionnement dans le quotidien de sa vie, est un apport majeur par rapport à la psychanalyse freudienne.

 

Cela dit, plus qu’un pionnier, Berne est un maillon de tout un courant, né bien avant lui, et qui a déplacé le regard du psychanalyste de l’intrapsychique au relationnel. Et c’est de cet élan au sein de la psychanalyse même et avant Berneque parle le livre que je présente ici.

 

* * *

 

La psychanalyse est une théorie extraordinaire. Elle a produit – ou parfois repris en leur donnant leurs lettres de noblesse – des concepts centraux tels que la pulsion, la sexualité infantile, l’inconscient, ou encore le Surmoi. Elle a également provoqué des mouvements coperniciens par plusieurs de ses concepts ; ainsi, l’ouverture à un rôle majeur de l’inconscient dans le fonctionnement a amené un changement radical de la pensée sur le psychisme. Il en va de même de la sexualité, définie comme une motivation profonde de la personne et un socle au développement affectif de l’individu. … Je sais, je sais, c’est pas très à la mode, de dire tout ça. Et pourtant !

 

Mais cette psychanalyse freudienne était une exploration résolument intrapsychique, qui se voulait comprendre et décortiquer la dynamique interne, et majoritairement inconsciente, d’un individu vu comme un organisme aux aspirations de paix intérieure face à ses élans pulsionnels. La psychanalyse freudienne est ainsi avant tout le récit d’une lutte intérieure, qui façonne l’individu et modèle une personnalité que le sujet donnera ensuite à voir au monde. Cette psychanalyse freudienne de la première heure se réfère donc à un modèle de l’être humain comme régi et structuré par la pulsion. Greenberg et Mitchell parlent ainsi d’un « modèle de structure psychique basée sur la pulsion » (drive/structure model).

 

Cette théorie psychanalytique de la première heure connut ses premiers conflits intestinaux, et ses premières scissions, avec des praticiens tels que Jung et Adler, dissidents à propos de certains points théoriques, ou encore Rank ou Ferenczi qui se désolidarisèrent dans leur technique d’intervention. Bien sûr, d’autres penseurs allaient ensuite développer leur particularisme, par une modification de la théorie ou de la technique.

 

Mais le principal séisme que connut la psychanalyse semble avoir été un questionnement qui allait inviter tous les théoriciens à décentrer leur pensée, et trouver un nouveau point d’équilibre dans une théorie qui ne pouvait rester intacte devant l’arrogance de la question. Et cette question était celle du rapport à l’objet, autrement dit la question de la relation interpersonnelle : Qui est « l’Autre » pour l’individu qui se construit psychiquement ? Quelle place a cet Autre dans le psychisme humain ? Quel statut à ses yeux et quel rôle dans son fonctionnement ? Et, aussi et surtout, quel rôle dans le développement de l’individu ?

 

Au-delà de l’Autre, au-delà de la relation, c’est aussi le réel, le monde extérieur, l’environnement, bref la réalité externe que cette question vient mettre en premier plan. Car si l’individu se forge dans la négociation entre ses pulsions et ses besoins de réduire les tensions internes, l’individu est aussi un être au contact de la réalité, des « possibles » en termes de satisfaction ou non des pulsions, et enfin, au contact de partenaires relationnels.

 

Pour Freud dans sa théorie première, et donc dans le modèle originel de structuration par la pulsion, l’individu est décrit comme un organisme dont la préoccupation première et principale est l’homéostasie interne et la décharge des tensions énergétiques par la gestion optimale et la satisfaction des pulsions. Dans la théorie première de Freud, avant le développement du concept de principe de réalité, le monde extérieur est quantité négligeable. Quant à l’Autre, il n’est pas un interlocuteur ; il n’est que le prétexte à la satisfaction des pulsions (i.e. un « but pulsionnel »), et n’existe aux yeux de l’individu qu’en tant que cible à laquelle adresser la pulsion pour la satisfaction intrapsychique. Autrement dit, la théorie de Freud sous-tend une théorie de la motivation humaine qui est celle de la satisfaction pulsionnelle, l’équilibre interne, la détente énergétique, bref le plaisir.

 

Cette théorie est extrêmement riche et novatrice, mais un brin nombriliste, diront certains.

 

Et c’est précisément ce qui provoqua la révolution de pensée dont il est question dans le livre présenté : Les théoriciens ultérieurs ont bien senti que cette description de l’individu comme un fief fermé sur lui-même était partiale et manquait d’à-propos. Cette perception a fait naître le questionnement sur la place de l’Autre (l’objet). On s’est alors mis à penser plus clairement comment l’objet est pris en compte par l’individu, voire comment il influence le développement de l’individu. Et de fil en aiguille, la question est née de savoir si l’on ne voulait pas remplacer la théorie de la motivation se référent à la décharge pulsionnelle par une théorie où la motivation première de l’individu serait le maintien de la relation. C’est l’ensemble de ces questions qui est venu ébranler la psychanalyse et inviter tous les théoriciens à un positionnement clair à ce sujet.

 

Comme je l’ai dit, cette question a appelé une révision théorique, ou tout au moins une adaptation que chaque psychanalyste a estimé nécessaire. Mais tous n’ont pas opté pour les mêmes formes d’adaptation. Certains théoriciens sont restés très attachés au modèle motivationnel de la pulsion, et ont tenté d’incorporer la question de l’objet dans la théorie de la pulsion. D’autres théoriciens, à l’opposé, ont laissé tomber purement et simplement la théorie de pulsion comme moteur premier, et ont posé le postulat que la préservation de la relation était le principe motivateur premier de la régulation interne et du développement de la personne. Les auteurs Greenberg et Mitchell nomme cette position alternative et construite contre la position freudienne originelle un « modèle de structure psychique fondé sur la relation » (relational/structure model). Dans cette nouvelle conception, la personne cherche avant tout non pas le plaisir mais la préservation de la relation à Autrui, et c’est aussi au nom de cet impératif que la personne se structure psychiquement durant son développement et en fonction des relations précoces qu’elle vit.

 

Mais, alors que certains auteurs ont adopté ou conservé une position radicale d’un bord ou de l’autre, d’autres semblent se placer quelque part entre deux. Par exemple, certains se situent dans un camp plutôt que l’autre tout en marquant un rapprochement visible avec leurs « opposants ». Et d’autres encore ont tenté une position médiane, intermédiaire, ou composite. Quoi qu’il en soit, on peut dire que tous les penseurs de la psychanalyse ont évolué sous cette remise en question (et Freud le premier).

 

* * *

 

La psychanalyse peut donc se voir comme un panel de théories aux couleurs diverses : orthodoxie freudienne, concessions, adaptations, accommodations, développements alternatifs ; Ce panel plein de nuances de la psychanalyse se révèle passionnant à découvrir sous la plume de Greenberg et Mitchell.

 

Plus précisément, cet ouvrage est une perle pour trois raisons, que je veux prendre le temps d’exposer en détails.

 

Premièrement, ce texte est un aperçu clair et de qualité sur la psychanalyse dans son ensemble. On y voit décrits ses fondements, ses principes théoriques, et quelques-uns de ses enjeux philosophiques. On peut ajouter que cet exposé est généralement clair et très accessible, ce qui est appréciable quand on parle d’une science qui souffre souvent d’un certain hermétisme (au moins langagier).

 

Deuxièmement, cet ouvrage est une cartographie des théories psychanalytiques, cartographie qui se déploie dans deux dimensions : historique et géographique. Cette cartographie est historique en ce qu’elle permet de replacer chaque auteur sur la ligne du temps, depuis Freud jusqu’aux années 80, permettant une vision claire des acquis de la psychanalyse disponibles à chaque auteur lorsque celui-ci déploie sa pensée. En parallèle, cette cartographie est géographique, en ce qu’elle permet de placer chaque auteur dans le déploiement spatial des diverses positions adoptées au regard de la relation d’objet.

 

On a ainsi exposées successivement les théories de S. Freud, Fromm, Sullivan, Klein, Fairbairn, Winnicott, Guntrip, Hartmann, Mahler, Jacobson, Kernberg, Kohut ou encore Sandler, et chacun de ces auteurs est visualisable dans ces deux dimensions cartographiques. D’un « amas de nom », le lecteur peut construire une réelle construction qui fait sens et donne corps aux concepts de chaque auteur. Précisons que la théorie de ces auteurs est toujours suffisamment bien exposée pour que le lecteur puisse à la fois se mettre en tête les principaux apports qu’ils ont amenés, la démarche théorique et les positionnements qui les ont amenés à élaborer ces apports, et enfin la manière dont ils ont traité la question de la relation d’objet dans leur théorie.

 

Troisièmement, ce livre peut se lire comme le récit d’un séisme dans une pensée scientifique ; Le séisme de praticiens passionnés et engagés, confrontés à une question théorique ébranlant la fondation de leur courant au point d’hypothéquer les bases théoriques du courant dont ils avaient fait leur école. Sans aller dire que l’attrait égale celui d’un roman, j’ai trouvé que la lecture permettait souvent de mettre en lumière le réel challenge de chaque auteur lorsqu’il tentait de préserver sa fibre et de définir à la fois son individuation et son appartenance en intégrant ses convictions et ses découvertes dans le corpus de ses pairs et de ses maîtres.

 

Certes, le lecteur ne trouvera pas un exposé complet de la théorie de tous les auteurs cités plus haut. Et ce livre n’est pas à considérer comme un bon manuel d’introduction à la psychanalyse, en ce qu’il oriente passablement son exposé selon une question spécifique. Cela dit, j’ai trouvé en cet ouvrage plusieurs apports précieux.

 

* * *

 

 

Au-delà de ces divers apports, j’ai trouvé dans cet ouvrage une mise en perspective très enrichissante de la théorie de Berne. Découvrir comment d’autres avant lui avaient intégré la perspective relationnelle dans la psychanalyse m’a permis de reconnaître et d’approfondir certains aspects de l’analyse transactionnelle, mais aussi de questionner certains pans de théorie de l’AT qui méritent encore ample réflexion.

 

C’est donc là, à mon avis, un excellent ouvrage, que je recommande vivement à celles et ceux qui aiment à tisser des liens entre analyse transactionnelle et psychanalyse.

 

Précisons encore seulement que cet ouvrage exige un bon niveau d’anglais, même si les auteurs ont pris soin de le rédiger dans un langage et une composition claire et agréable à lire. Par ailleurs, c’est un pavé dont la consommation « d’une traite » peut facilement provoquer quelques incommodités digestives. Qu’à cela ne tienne, puisque sa structure permet aisément de sauter à souhait certaines présentations d’auteurs pour s’attarder plus particulièrement sur celles d’autres, sans perdre l’essence du discours de l’ouvrage.

 

Et il ne me reste plus qu’à vous souhaiter une bonne lecture !